Instauré par l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, le barème relatif à l’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse borne l’office du juge lors de la fixation de son montant. Plus de cinq ans après, son application reste au cœur des querelles judiciaires. Certes, les accusations d’inconstitutionnalité et d’inconventionnalité ont été successivement rejetées par le Conseil constitutionnel (Cons. const., 7 septembre 2017, n° 2017-751 ; Cons. const., 21 mars 2018, n° 2018-761) et le Conseil d’État (CE, 7 décembre 2017, n° 415243).

De plus, par deux avis rendus à l’été 2019 (Ass. plén., 17 juillet 2019, avis n° 15012 et n° 15013), l’Assemblée plénière de la Cour de cassation a conclu à la conformité de principe de l’article L. 1235-3 du Code du travail aux normes supranationales. Mais la controverse ne s’est pas éteinte. Elle s’est recentrée autour de deux questionnements. D’une part, le débat relatif à la validité du barème s’est déporté sur le contrôle concret de conventionnalité et reste vif devant les juridictions du fond. D’autre part, l’article L. 1235-3 du Code du travail génère en lui-même des hésitations s’agissant tant de sa portée effective que de son articulation avec d’autres dispositions. Ces incertitudes demeurent en suspens, tant que les juges du Quai de l’Horloge n’auront pas eu l’occasion de se prononcer dans le cadre de pourvois en cassation.

On comprend que les premières applications du barème Macron par la Haute juridiction soient tant guettées. L’arrêt en date du 15 décembre 2021 ne met nullement fin à cette attente. La question centrale du contrôle concret de conventionnalité n’y est nullement envisagée, faute d’avoir été soulevée ni par les parties ni d’office. Pour autant, la décision commentée apporte sa pierre à l’édifice jurisprudentiel. Il s’agit d’une première application de l’article L. 1235-3 du Code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n°2018-217 du 29 mars 2018, qui ne manque pas d’intérêt. La Cour de cassation fournit, en effet, deux enseignements utiles s’agissant du régime applicable.

Les faits de l’affaire sont assez banals. À la suite d'un arrêt maladie, un salarié a été déclaré inapte à son poste et licencié pour inaptitude d’origine non professionnelle. Toutefois, l’employeur ne lui a pas fait connaître par écrit les motifs s’opposant à son reclassement. Contestant son licenciement, le salarié a saisi la juridiction prud’homale de plusieurs demandes indemnitaires. La cour d’appel de Nancy a constaté différentes irrégularités affectant le licenciement et condamné l’employeur à payer la somme de 63 364,20 euros nets à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ainsi que la somme de 300 euros pour défaut de notification écrite des motifs s’opposant au reclassement du salarié.

Cette décision est censurée par la Cour de cassation qui fournit, par la même occasion, deux éclaircissements concernant l’application du barème Macron. D’une part, au visa de l’article L. 1235-3 du Code du travail, la Haute juridiction rappelle que les dommages-intérêts versés au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse doivent être fixés par le juge prud’homal en respectant les montants minimaux et maximaux qui sont exprimés, sous forme d’un tableau, « en mois de salaire brut » et non en salaire net.

Il en résulte que les juges du fond ne pouvaient pas octroyer au salarié l’indemnité maximale, en fonction de son ancienneté, libellée en net (I.).

D’autre part, la Cour exclut le cumul de cette indemnité avec celle pour défaut de notification écrite des motifs s’opposant au reclassement (II.).

Ces précisions méritent attention en ce qu’elles suggèrent la prévalence d’une approche littérale et stricte du barème Macron de la part de la Chambre sociale de la Cour de cassation.

I. Une application littérale : montants minimaux et maximaux de l’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse exprimés en brut


Aux termes de l’article L. 1235-3 du Code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n°2018-217 du 29 mars 2018, lorsque le licenciement d'un salarié est privé de cause réelle et sérieuse et à défaut de réintégration, le juge octroie au salarié évincé une indemnité mise à la charge de l’employeur dont la somme est fixée, entre des montants minimaux et maximaux déterminés en fonction de l’ancienneté. En l’espèce, le salarié licencié avait une ancienneté de vingt-neuf années pleines dans l’entreprise. En application du barème, l’indemnité maximale afférente était donc de vingt mois de salaire. Son salaire mensuel brut étant de 3 168,21 euros, l’indemnité ne pouvait pas excéder la somme de 63 364,20 euros. Les juges du fond ont justement condamné l’employeur à verser au salarié une indemnité correspondant à ce plafond, tout en prévoyant l’octroi de cette somme en net.

La Cour de cassation censure cette décision en rappelant que « le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux exprimés en mois de salaire brut ». Cette solution n’est pas surprenante dès lors que l’article L. 1235-3 du Code du travail ne souffre d’aucune ambiguïté sur ce point. Le tableau y figurant fixe des montants minimaux et maximaux, selon l’ancienneté du salarié, qui sont exprimés « en mois de salaire brut ». La Chambre sociale procède donc à une application littérale de l’article L. 1235-3 du Code du travail. À l’inverse, il semble que la cour d’appel de Nancy ait tenté de s’affranchir discrètement du plafonnement de l’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse en s’écartant de la lettre du texte. En outre, le passage d’une somme brute à une somme nette manque de logique. L’opération s’avère discutable dès lors que les juges nancéiens ont fixé le montant de l’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse « en net » en basant leur calcul sur le salaire brut du salarié.

Toutefois, la Cour de cassation ne proscrit pas le libellé des dommages-intérêts en net. Il semble concevable pour les juges du fond d’octroyer au salarié une indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse exprimée en net, sous réserve que la reconstitution du montant brut n’aboutisse pas à un dépassement du plafond correspondant à l’ancienneté du salarié. Pour autant, on voit mal l’intérêt de procéder de la sorte.

II. Une application stricte : absence de cumul avec l’indemnité pour défaut de notification écrite des motifs s’opposant au reclassement


Aux termes de l’article L. 1226-2-1 du Code du travail, l’employeur doit informer par écrit le salarié des motifs qui s’opposent à son reclassement lorsqu’il envisage de procéder à son licenciement pour inaptitude d’origine non professionnelle.

En l’espèce, le salarié a demandé l’octroi de dommages-intérêts pour non-respect de cette obligation, en sus de sa demande relative à l’absence de cause réelle et sérieuse du licenciement. Les juges du fond ont fait droit à cette demande et ont condamné l’employeur à verser la somme de 300 euros pour défaut de notification écrite des motifs s’opposant au reclassement.

Toutefois, la Cour de cassation ne retient pas cette interprétation et censure l’arrêt d’appel. La Chambre sociale écarte le cumul de cette indemnité et de celle octroyée pour licenciement sans cause réelle et sérieuse au motif qu’elles sont exclusives l’une de l’autre. Il s’agit d’une précision inédite s’agissant du licenciement pour inaptitude d’origine non professionnelle. Pour autant, elle s’inscrit dans le prolongement de la jurisprudence en matière d’inaptitude d’origine professionnelle. Cette application par analogie ne surprend pas dès lors que le régime applicable au reclassement du salarié pour inaptitude a été unifié, quelle que soit son origine, par la loi n°2016-1088 du 8 août 2016.

Malgré tout, un changement de position était envisageable eu égard au bouleversement, induit par le barème Macron, s’agissant de la fixation de l’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse. En effet, l’instauration d’un plafond indemnitaire aurait pu inciter la Cour de cassation à retenir une conception assouplie en admettant plus largement les possibilités de cumuls indemnitaires. Aussi, l’arrêt rapporté laisse place à peu de doute quant à la position de la Chambre sociale à l’égard du barème Macron. Celle-ci fait preuve de constance au regard de la jurisprudence antérieure ; mais elle est également stricte au regard des conséquences indemnitaires induites par la rédaction contemporaine de l’article L. 1235-3 du Code du travail.

Conclusion : En fin de compte, l’arrêt rapporté est de mauvais augure pour les praticiens tentés de diversifier les demandes indemnitaires pour contrecarrer le plafonnement de l’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse.

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